VENDREDI 08 AOÛT.
Réveillé tôt, j ai pris un taxi à 7h15, un peu pif, pour aller à la station des bus. Il y en avait un à 7h45, coup de bol, pas eu à poireauter.
Il y a environ 100 km de Tallinn à Rakvere, vers l est. Bus confortable et presque vide. Le trajet coûte 6 euros.
Sorti des banlieues d habitat collectif, la route large, plate, file tout droit jusqu'à... St Pétersbourg, sans aucun virage. Paysage plat et doux de champs de blé, de prairies et de forêts. Les points culminants sont... les clochers. Cela me rappelle les routes de la Laponie finlandaise.
Je suis donc arrivé à Rakvere à 9h15, petite gare routière moderne et fonctionnelle. C est une petite ville de 20.000 habitants qui m a l air bien paisible.
A quelques dizaines de mètres, l office du tourisme, où je récupère plans, cartes et
infos. Accueil charmant et très serviable. Faut dire que les touristes n ont pas l air de se bousculer ici !
Déception. Il n y a pas d excursion organisée d ici pour le parc national de Lahemaa, qui se trouve à une trentaine de kilomètres au nord de Rakvere. Et je ne veux pas quitter l Estonie sans y être allé. Je décide donc de louer une
voiture : les routes sont plates, droites, et quasiment désertes. Pas de chance, il n y en a plus de disponible chez les deux loueurs qu' elle a contactés. Elle me met alors en contact avec un particulier qui vient au bureau d information. Nous nous mettons d accord pour un petit circuit demain qui me permettra de voir tout ce que je voulais, pour 60 euros. Certes, c est un peu lourd sur le budget de la journée, mais je n ai pas le choix. Disons que je me fais un cadeau d
anniversaire par anticipation. Et de toute manière, le même tour que j aurais fait en excursion depuis Tallinn si j avais pu y prolonger coûtait 49 euros, plus 10 euros pour le déjeuner. Donc... ça sera ma journée bourgeoise, avec chauffeur particulier.
J arrive à l hôtel, à 10 mn à pied, vers 10h. On me donne quand même la chambre sans attendre 14h, heure de check in affichée. Il est absolument parfait, c est le plus bel hôtel de la ville. La chambre vaut 44 euros, mais elle les vaut largement, car je considère qu' il correspond à un 3 étoiles chez nous.
Je me pose une heure, le temps de recharger la batterie de la tablette, et je sors visiter la ville. Elle est très propre, aérée, très calme, il fait très chaud.
L intérêt essentiel du lieu est un château fort qui la domine. Il date des XIVe / XVIe siècles. En partie d origine, en partie reconstruit, notamment tout ce qui est de bois, il donne un excellent aperçu de la vie d un château fort. Il y a beaucoup d activités et d ateliers pour les enfants (joutes, tir à l arc, costumes, chasse au trésor, questionnaires), des mises en scène (salle des tortures), une basse cour, un charpentier, un potier, un maréchal ferrand, un pilori, et même une taverne où l on peut goûter des boissons et recettes du Moyen Âge. Bref, c est à la fois ludique et didactique, très intéressant en tout cas.
A côté, sur la même colline, se dresse une énorme statue d un auroch, qui est l emblème de la ville.
Pause café pâtisserie dans la rue Pikk, juste au pied de l église de la Trinité, temple luthérien très sobre.
Retour vers la grande place, moderne et commerciale, immeubles et décor design, puis j ai traversé quelques rues d un quartier très joli, avec maisons tradtionnelles de bois peintes de couleurs vives.
Cette petite ville n a rien d extravagant, pourtant on s y sent super bien, elle est sympathique et authentique. C est l occasion d approcher la vraie vie des vrais gens, comme je dis souvent.
SAMEDI 09 AOÛT.
Petit déjeuner très copieux (buffet), j en soustrais deux œufs durs pour plus tard, on ne sait jamais, et j aime bien avoir toujours de quoi grignoter dans mon sac.
Comme convenu hier, je suis parti à 9h avec Annus Raud (puisque tel est son nom), pour une belle virée dans le parc de Lahemaa. En chemin il m a appris beaucoup de choses, je l ai bombardé de questions.
C est un paysage de prés, de champs de blé, et de vastes forêts de pins au tronc rouge et très élancé, de bouleaux, d aulnes et de fougères. Les anciens kholkhozes et sovkhozes sobt devenus des fermes prospères et modernes.
Premier arrêt au manoir de VIHULA, transformé en hôtel de luxe, jolie bâtisse du XVIe siècle, qui se reflète sur un étang vert et sombre.
On pénètre ensuite plus profondément dans le parc national en direction de la côte, et la route se termine en cul de sac sur un petit hameau du bout du monde, constitué de quelques belles résidences secondaires en bois, et qui s appelle ALTJA. C est un ancien village de pêcheurs, il n y a pas de rue, juste un sentier de sable doux, le long d une frange de roseaux (ce sont des elymes, qu' on appelle aussi seigle de mer), et des rochers erratiques venus s échouer là depuis la Finlande à l âge glaciaire. La mer est étale, comme un miroir gris, car le ciel est très couvert aujourd'hui.
Quelques kilomètres plus loin, à OANDU, se trouve en pleine forêt un centre d information. Un diaporama sous titré en français détaille et expose tout ce que l on peut trouver dans le parc : flore, faune (ours, loup, lynx, sangliers, cerfs, tétras et autres moules et écrevisses), géologie, traces d habitat préhistorique. C est l une des plus importantes réserves forestières de la Baltique. Sentiers de randonnée, observatoires, expositions... la nature a ici tous ses droits. Elle est bien préservée d une part parce que les écologistes, qui ont été en pointe dans l accession à l indépendance, sont très puissants au gouvernement, et d autre part parce qu' à l époque soviétique de vastes zones du pays étaient zones militaires, donc inaccessibles, donc pas exploitées ni dégradées. Qui eût crû que totalitarisme et écologie pouvaient faire bon ménage ? Lol
Et je remarque sue ce petit pays jouit d un excellent cadre de vie et d une très bonne qualité de vie. Quel contraste avec le chemin de l Arménie, république sœur qui s est séparée de l URSS presqu' en même temps ! Et là je mesure concrètement les bienfaits de l Union Européenne, qui a permis à l Estonie de se développer et se moderniser.
Direction le très beau petit manoir de SAGADI. Il date du XVe siècle, et il est resté dans la même famille pendant trois siècles, jusqu'en 1971, avant d être transformé par le régime soviétique en école primaire. Façade rose et blanche, toit de tuiles rouges, style baroque. Il a été remeuble avec beaucoup de goût et d intelligence. On en parcourt les salles au plancher qui craque, sentant bon la cire, en entendant Tchaikovskyet Chopin, et l on plonge dans le temps, s attendant à voir surgir quelque homme en habit ou quelque femme en crinoline au détour d un couloir. Moi j adore ces ambiances fin XIX e, déjà si loin, et encore si proches de nous.
Brève halte à VOSU, où j avais désespérément cherché un hébergement pour ce week-end (il y a en fait a KASMU, à quelques kilomètres de là, un énorme festival de musique folk qui attire des gens de toute l Estonie, ce qui explique que les hébergements sont pleins à craquer). Grande plage de sable fin ourlee d une pinède odorante, la même mer d huile, les mêmes roseaux, le même silence et le même calme. Pour info, l eau était à 23 degrés.
J interroge mon cicerone. Le salaire moyen mensuel tourne autour de 800 euros, un prof touche environ 900 euros. Annus a 70 ans, il est retraité et arrondit ses fins de mois en faisant des traductions d ouvrages russes et finnois. Après 40 ans de travail dans un kholkhoze, il perçoit 300 euros par mois de retraite, et il a travaillé 5 ans en Finlande, comme chauffeur de bus à Helsinki, pour lesquels il touche également 300 euros.
Dernière étape de la boucle, le magnifique manoir de PALMSE. Un bâtiment annexe, qui servait aux travailleurs, a été transformé en hôtel. C est par là que je pénètre dans le parc, puis dans le manoir, zappant ainsi l entrée officielle... et le ticket à 12 euros.
Il date pour l essentiel du XVIIIe siècle, et il a été, lui aussi, occupé pendant deux siècles par la même famille, jusqu'à leur expropriation en 1923 par le régime soviétique. Cette famille von Pahlen, d origine allemande, a laissé de très bons souvenirs dans le secteur pour ses actes de bienfaisance et de générosité envers les fermiers et paysans pauvres, notamment en périodes de disette. Le manoir est superbe, rénové, remeuble, et là encore on a l impression que les occupants des lieux se sont juste éclipsés le temps que les visiteurs passent, et qu' ils vont revenir après notre départ pour reprendre leurs affaires, leurs diners, leurs bals et autres causeries de boudoirs. Le petit étang et sa gloriette sont extrêmement romantiques.
Bref je suis revenu absolument ravi de ce tour, et j aurais vraiment regretté si j avais dû y renoncer !
Retour à Rakvere vers 13h30. Un petit saut rapide â l église russe orthodoxe qui se trouve à deux pas de l hôtel, juste pour y voir les reliques, dans un cercueil de verre et de bois, du prêtre Serge Florinsky, tué par les communistes en décembre 1918, et promu au rang de saint martyr par l église russe en 2002. Le squelette est recouvert d habits sacerdotaux, et on voit juste ses deux mains tordues et dessechees, ce qui suffit amplement.
Pour info, au supermarché, 2 grosses nectarines + 8 prunes + 1, 5 l d eau = 0, 74 €. Le coût de la vie est quand même inférieur au nôtre.
Dîner... arménien ce soir !