QUATRE MILLE ÎLES

QUATRE MILLE ÎLES

 

 

1 aout - La parenthèse enchantée

Noyé dans une dizaine de jours de paresse totale, loin de tout, y compris d’ internet...

Je suis descendu vers le sud, une zone à la frontière du Cambodge qui s’ appelle les 4000 îles. Le Mekong s’ y divise en plusieurs bras, sur une cinquantaine de km de large, et laisse émerger des centaines d’ îles, d ilôts et d îlets...

DON DET, la plus au sud, petite île trop touristique à mon gout, un accueil pas vraiment sympa, une bouffe pas vraiment bonne, une rue de terre longée de bars et de restaurants, mais aussi, une campagne très agréable, longue balade à vélo sur l île voisine de Don Khone et les cascades de Li Phi, et surtout, le seul intérêt, c’ était le bungalow avec petite terrasse et hamac sur le fleuve pour 3 euros...

Balade en bateau et magnifique coucher de soleil.

 

 

DON DET - 22 juillet

De Paksé à Don Det, en minivan. Paysage plat, une campagne de rizières asséchées, une herbe maigre et rase a pris possession des casiers,  quelques arbres épars, des termitières.... Cela a un petit air de brousse africaine. Le voyage dure 2h30 pour arriver à Nakasang, d’ où une  pirogue à moteur nous fait traverser le fleuve.

L’ endroit est agréable au premier abord. Les installations sont sommaires, mais une salle d’ eau, un ventilateur, une moustiquaire et un  hamac me suffisent (pour 3 euros, que demander de plus !?). Il y a aussi une terrasse commune sur la berge du fleuve, orientée vers l’ ouest. A  mes pieds coule le Mékong, et en face de moi s’ étirent les îles et les ilôts. De gros nuages noirs accompagnés de grondements lointains s’  accumulent sur les collines du Cambodge, juste à l’ horizon proche.

En suivant la “rue” principale du village, de terre battue, on arrive vite à la campagne : casiers de rizières en herbe, buffles et vaches  paresseux, des papillons divers et nombreux, des senteurs de poivre et de bouse, tout cela est à la fois très dépaysant et apaisant. Mais le  pédalage sur la piste caillouteuse est épuisant.

L’ orage approche, un vent léger rend l’ atmosphère supportable, voire agréable. J’ attends la pluie, en espérant qu’ elle va laver le ciel et  ramener la lumière au moment du coucher du soleil. Cette lumière faiblissante du crépuscule rend l’ endroit un peu irréel, comme une bulle  de paix où rien d’ autre n’ existe, que le silence, la sérénité, l’ oubli de soi, et le temps qui semble suspendu. Le fleuve coule en silence, l’  obscurité enveloppe lentement les collines, des oiseaux crient, claquent du bec, des insectes invisibles crissent et stridulent... Heure  magique...

 

DON DET - 24 juillet

Petit-déjeuner sur une terrasse surplombant le Mékong. le fleuve boueux roule placidement son eau ocre, les ilôts couverts d’ une végétation  vert sombre flottent, et sur l’ autre rive, les collines du Cambodge appellent à d’ autres voyages.

Journée de farniente total, à lire et somnoler dans le hamac jusque vers 16 heures. Notre petit groupe a alors embarqué pour une partie de  pêche qu‘ Alice avait négociée à 25.000 kips par personne, barbecue inclus, contre des tarifs habituels tournant autour de 60.000 kips. J’ ai  suivi le mouvement non pour pêcher, mais pour profiter de la promenade en bateau. Très vite, il apparaît que nos deux accompagneturs  étaient autant professionnels de la pêche que je ne le suis. L’ un d’ eux n’ arrêtait pas de prendre des photos, comme si c’ était là sa première  sortie en bateau... (il s’ avèrera par la suite qu’ en fait c’ était... sa deuxième sortie en bateau !). Trois arrêts dans des endroits improbables, au-dessus de fonds recouverts de nattes qui accrochent les hameçons et finissent par en briser 4 sur les 5 cannes disponibles. La partie de pêche a vite tourné court !

Mais... Le crépuscule est venu, annoncé par un magnifique arc-en-ciel. Les gros cumulus se sont teintés progressivement et successivement de toutes les couleurs, rose, orange, violet, bleu, noir, rouge, et la ligne des arbres s’ est noircie, jusqu’ à se découper en ombre chinoise au-dessus des reflets mordorés du fleuve. C’ est le premier vrai et beau coucher de soleil que je vois depuis le début du voyage. Le silence est tombé sur le fleuve, comme un signal donné aux batraciens, oiseaux et autres insectes pour entamer à leur tour leur concert qui va durer toute la nuit. Le temps s’ est arrêté une fois de plus, ici, à la frontière du Laos et du Cambodge, dans cet univers liquide et verdoyant, chaud et humide, et baigné de cette extraordinaire palette de couleurs.

Au retour, le barbecue de poisson n ‘ est plus au programme, attendu que nous devions manger ce que nous aurions pêché... Discussion serrée pour finalement obtenir un poisson grillé, un peu décevant, et que j’ ai mangé un peu à contre coeur.

 

 

DON KHONG - 25 juillet.

Sur la vaste terrasse carrelée, aux tables et fauteuils de bois et d’ osier. La pluie tombe, fine, qui ne m’ a pas quasiment pas lâché depuis Don  Det. Sous mes yeux, des flamboyants, et le fleuve, large et lent. L’ autre rive, à l’ est, s’ étire sur un fond de collines. A mes pieds, le  débarcadère, à ma droite, une vaste esplanade et un temple. J’ entends des chèvres qui bêlent, un bruit de moto lointain, des oiseaux, le plic-ploc de la pluie. Une chaleur un peu lourde, sans vent, s’ appesantit sur l’ endroit.

La pluie a cessé en fin d’ après-midi, et je suis sorti explorer le village. Il s’ étire le long du fleuve, en deux rues parallèles où s’ alignent quelques guest houses, peu nombreuses par rapport à Don Det, quelques boutiques de la vie ordinaire, et les maisons, la plupart sur pilotis, ouvertes au passant qui pénètre ainsi dans l’ intimité des pièces uniques, où se mêlent le frigo et les ventilateurs, nattes et tables basses, enfants qui jouent et adultes endormis. Au bout de la rue, un temple silencieux, à peine frôlé par le passage furtif de quelques moinillons en robe safranée. Puis la campagne, casiers asséchés, une grande mare où soufflent des buffles, entourés de canes et de canetons. Les touristes sont rares, l’ endroit est paisible. Le fleuve s’ étire mollement, en languissant dans son eau trouble qui prend des teintes rosées.

Au restaurant le soir. Les lumières attirent des dizaines d’ insectes volants, papillons et libellules, et des chatons leur donnent la chasse. Ils se précipitent sur eux, bondissent, et les croquent. C’ est un spectacle très amusant... sauf quand lesdites bestioles affolées viennent se crasher sur mon cou. Elles se précipitent vers la lumière, et disparaissent en laissant tomber une fine poussière, accompagnée de leurs ailes démembrées et brûlées. Quel étrange mécanisme les propulse ainsi vers leur propre destruction ?

DON KHONG - 26 juillet.

Le ciel est couvert ce matin. Des oiseaux, un coq, une chèvre, des poules, quelques voix étouffées aux tables voisines, le Mékong à peine ridé,  çà et là, par le courant... Un décor de rêve pour entamer la journée.

J’ ai loué un vélo pour une longue promenade de 4h30, une vingtaine de kilomètres dans la partie sud de l’ île. La route est plate, le temps a  été complice. Partout des sourires, des “sabaydee” (bonjour), et un paysage extraordinairement paisible : buffles, vaches, volailles, rizières,  villages d’ improbables cahutes ou cabanes aux toits de chaume... La vie y est simple, mais quelle misère ! Des haltes silencieuses dans les  jardins des temples, des photos d’ enfants par dizaines... Je me sens bien mieux ici qu’ à Don Det, où je n’ avais l’ impression que de patauger  dans la boue...

La pluie a attendu que je sois rentré pour se mettre à tomber. Installé sur le balcon, je me repose. Il n’ y a plus que le bonheur de n’ obéir qu’  à mon corps quand il réclame sommeil et nourriture. J’ aimerais que cette parenthèse dure, dure encore, rester dans ce flux mouvant du

voyage, dans ces horizons sans cesse renouvelés. Il y a encore tellement de choses à découvrir de par le monde ! Je fais provision de paix, de  silence, de calme pour les semaines et les mois à venir.

Un thé sur la terrasse en bois. Le fleuve suit son cours impassible et majestueux. Une brise légère rend, par intermittences, la chaleur  supportable. De gros cumulus blancs bourgeonnent au-dessus de la rive orientale. Apporteront-ils la pluie ce soir ? Le temps s’ étire comme  le fleuve, suspendu, arrêté... Il n’ y a ni avant ni après. Il n’ y a plus que la chaleur, le glissement de l’ eau ocre, et un vague engourdissement  paresseux qui me gagne.

Vers 17 heures je suis revenu vers le temple, alors que le crépuscule commence à s’ étaler sur le village. Une douce lumière accentue les  contrastes. Des scènes tranquilles se succèdent : le bain dans le fleuve, quelques poissons qu’ on en ramène pour le dîner, les enfants qui  jouent, les novices qui cueillent des noix de coco, les fumées des feux de bois, les vieillards songeurs à leur fenêtre, volailles, chiens, et  chatons au long du trajet...

La nuit tombe brutalement. le fleuve a perdu ses reflets, et sa masse sombre renvoie par instants la blancheur laiteuse de quelques gros  nuages blancs. Quelques ombres de pirogues glissent dans un bruit de moteur assourdi. Je suis en paix et n’ ai besoin de rien d’ autre.

Commentaires (1)

Thomas le 19/08/2012
Pour infos, si les insectes se dirigent vers la lumière c'est parce que dans la nuit ils se servent de la lune pour se diriger. Ils prennent donc ces lumières artificielles pour de la lumière lunaire.


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